Les victimes Gantoises de la chasse aux sorcières réhabilitées
Pourquoi une réhabilitation ?
Après quatre cents ans, les victimes de la chasse aux sorcières à Gand obtiennent enfin la reconnaissance et l'attention qu'elles méritent. Leur persécution et la délirante suspicion qui la motivait constituent une page sombre de l'histoire gantoise.
La peur de la magie diabolique a beau sembler aux antipodes de notre univers contemporain, prêter attention aux persécutions des sorcières est toujours d’actualité. Comme ailleurs en Europe, la lutte contre les sorcières atteint son apogée à Gand aux XVIe et XVIIe siècles: une période tumultueuse de guerres, de changements climatiques, de conflits religieux et de famine. Crises et incertitudes rendent les gens plus sensibles aux explications irrationnelles. Lorsqu’elles traversent des temps difficiles, les sociétés cherchent des boucs émissaires. À l’époque qui nous intéresse, ce sont les prétendus sorciers et sorcières qui écopent de ce rôle.
Aujourd’hui comme jadis, les crises sont nombreuses à affecter nos sociétés : guerres, changements climatiques, crises économiques et autres défis. Et comme jadis, rumeurs, préjugés et désinformation sont monnaie courante. Le mécanisme du bouc émissaire est toujours bien vivant. Le miroir que nous tend le sort des sorcières a donc une grande valeur actuelle.
Quand débute la persécution des sorcières ?
La magie et les phénomènes surnaturels sont depuis longtemps enracinés dans les croyances. Dès l’Antiquité classique, des mythes circulent sur les diseurs et diseuses de bonne aventure et sur les femmes dotées de pouvoirs magiques. La propagation du christianisme est loin d’éradiquer les formes populaires de superstition ou l’utilisation de sortilèges et de remèdes magiques à base de plantes, profondément ancrées dans la vie quotidienne. Les quelques exécutions de sorcières qui eurent lieu au Moyen Âge semblent être liées à une colère populaire spontanée plutôt qu’à des procédures judiciaires formelles.
Ce n’est qu’à la fin du XVe siècle que cette situation change. Un nombre croissant de démonologues répandent alors des tracts incendiaires sur les sorcières. Elles y sont toujours présentées comme étant des femmes. L’avènement de l’imprimerie favorise la diffusion de ces tracts. L'un des livres les plus misogynes de tous les temps s’intitule le Malleus Maleficarum, soit le « Marteau des sorcières ». Publié en 1486, ce livre décrit comment reconnaître et poursuivre les sorcières et devient un best-seller absolu.
Le vocable « Malleus » fait écho à des publications antérieures dirigées contre les hérésies. Il figure ainsi dès le XIIIe siècle dans un chapitre intitulé Malleus Haereticorum (le « marteau des hérésies »), inclus dans la Somme contre les Gentils de saint Thomas d’Aquin. Un autre ouvrage date du XVe siècle et s’intitule le Malleus Judaeorum (le « marteau des juifs »). Cependant, avec les femmes, c’est une nouvelle cible qui est dénoncée.
Quelles sont les causes profondes de la persécution des sorcières ?
À la fin du XVIe et au XVIIe siècle, nos régions subissent un climat plus froid et plus défavorable. Cette période a reçu plus tard le nom de Petit Âge Glaciaire. Les hivers rigoureux entraînent pauvreté, mauvaises récoltes et famine. Les sorcières sont identifiées comme étant la cause de tout ce qui ne va pas.
À ce tableau s’ajoutent des troubles religieux. Le profond ressentiment à l’égard de l’Église catholique génère un nombre croissant de schismes religieux. Les nouveaux mouvements se caractérisent par la définition précise de leur propre doctrine et peu de tolérance envers ceux qui pensent différemment. Par ricochet, l’Église catholique se fait elle aussi plus dogmatique. En outre, la peur et l’incertitude règnent parmi la population quant à la meilleure façon d’atteindre l’au-delà.
Qui sont ces sorcières ?
Au début de l’époque moderne en Europe, on estime que 80 % des condamnations pour sorcellerie concernaient des femmes. Cela vaut également pour le comté de Flandre. Les données gantoises montrent un ratio de 75% de femmes pour 25% d'hommes. Souvent, ces femmes s’écartent de l’image de la femme idéale qui domine dans la société patriarcale : jeune, fertile et mariée. Les accusations de sorcellerie touchent ainsi principalement des femmes âgées ou des femmes en situation de pauvreté, mais aussi des veuves ou des femmes ayant trop de répondant.
Pourtant, toutes les sorcières ne sont pas des mendiantes marginalisées vivant aux abords du village. Il s’agit là d’un cliché qui perdure jusqu’à aujourd'hui, comme en témoignent de nombreux films ou dessins animés. Parmi les sorcières flamandes figurent également des femmes mariées et riches. Des hommes aussi. Ces derniers se détachent généralement de l’idéal masculin dominant, se livrent à des pratiques telles que la divination ou voient la sorcellerie s’ajouter comme accusation secondaire à d’autres accusations les concernant.
Les accusations et persécutions pour sorcellerie sont souvent le résultat d’une combinaison complexe de facteurs et de circonstances spécifiques. L'âge, la classe sociale, les liens familiaux, la personnalité individuelle ainsi que les différences culturelles et géographiques : tout cela joue un rôle. Néanmoins, il est incontestable que ce sont principalement des femmes qui sont accusées et poursuivies. Le sexe n’est donc pas un facteur exclusif, mais souvent déterminant.
Persécution des sorcières dans les Plats Pays
Aux Pays-Bas, les autorités ont dans un premier temps abordé avec une certaine réserve les croyances populaires et les superstitions. Les sanctions imposées sont relativement légères et vont d’amendes à des pèlerinages obligatoires. À partir de 1450 environ, les cas isolés de sorcellerie deviennent progressivement plus fréquents. Mais il faut attendre la fin du XVIe siècle pour que débute vraiment la persécution des sorcières à grande échelle.
Il existe cependant de grandes différences géographiques. Dans les Pays-Bas septentrionaux, soit les actuels Pays-Bas, les persécutions à grande échelle sont restées assez rares. Entre 1450 et 1608, environ 160 personnes y ont été exécutées pour sorcellerie. Dans les Pays-Bas méridionaux, soit à peu près la Belgique actuelle, la croyance en la sorcellerie semble avoir été plus profondément enracinée. Selon les estimations, 1 150 exécutions pour sorcellerie y ont eu lieu. Rien que dans le comté de Flandre, les condamnations à mort se chiffrent à environ 200. On remarque aussi que certaines années sont plus sombres que d’autres.
Dans sa lutte contre « les hérétiques », le roi Philippe II a promulgué en 1592 une ordonnance contre la sorcellerie dans les Pays-Bas méridionaux. Les sorcières y sont définies comme la pire et la plus dangereuse des formes d’hérésies. Évêques et prêtres sont encouragés à rester vigilants et à éradiquer le mal. À partir de 1595, les sorcières finissent de plus en plus sur le bûcher.
Le moteur de cette ordonnance est le jésuite flamand expert en démonologie, Martin del Rio, originaire d'Espagne. En 1599, il publie ses « Disquisitiones Magicae » soit ses « Recherches sur la magie ». Ce livre devient un best-seller et le manuel ultime pour lutter contre la sorcellerie aux Pays-Bas.
Après la mort de Philippe II, le règne des archiducs Albert et Isabelle (1598-1621) inaugure dans nos régions une période de paix et de prospérité. Il est d’autant plus remarquable que la persécution des sorcières à Gand ait atteint son apogée précisément dans les années 1601-1604, alors qu'ailleurs dans nos régions, ce ne fut le cas que vers 1630-1645. Les périodes de paix relative peuvent apparemment favoriser les règlements de compte.
Il semble que les zones rurales, en particulier les régions peu peuplées et dotées de structures juridiques moins développées aient été plus favorables à la chasse aux sorcières. Mais les villes n’étaient pas épargnées pour autant. Ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle que les bûchers de sorcières se sont progressivement éteints.
Persécution des sorcières en Europe
Il reste particulièrement difficile d’avoir un aperçu global de tous les procès en sorcellerie en Europe. Les historiens estiment qu’entre 45 000 et 60 000 personnes sont mortes à cause de la folle peur des sorcières. Toutefois, cette déraison n’est pas également répandue partout en Europe.
Une possible explication aux grandes différences géographiques est le degré de tension et d’incertitude religieuses. Dans les pays et régions où la religion dominante était peu contestée, l’hystérie liée aux sorcières a nettement moins sévi.
Cette hystérie a enflammé le sud de l’Allemagne, la Pologne, la Scandinavie, l’Écosse, la Suisse, la France et les Pays-Bas méridionaux. En revanche, l’Irlande, l’Italie et la péninsule ibérique ont été, semble-t-il, beaucoup moins durement touchées.
Chronologie d’un procès en sorcellerie
Les procès en sorcellerie commencent par des rumeurs et des potins. Un comportement antisocial, l'adultère, des tendances suicidaires, des propos inappropriés, l'implication dans la maladie ou la mort de certaines personnes ou animaux, ou tout simplement le contact avec une sorcière présumée, peuvent susciter des soupçons. Dès que la rumeur de sorcellerie touche une personne, il y a de fortes chances qu'elle en soit effectivement accusée. La partie lésée ou le gouvernement peut alors engager des poursuites pénales. Magie, rassemblements nocturnes (sabbats de sorcières) et « conversations charnelles » ou relations sexuelles avec le diable, telles sont les accusations les plus courantes. Les sorcières sont soupçonnées de pactiser avec le diable pour détruire la société.
Comme d’autres crimes graves, les crimes de sorcellerie sont traités par voie inquisitoriale. Les juges pénaux évaluent si une personne est une sorcière et se chargent eux-mêmes d’en apporter les preuves. Cela explique le caractère souvent violent des interrogatoires. Les preuves s’obtiennent généralement grâce au témoignage de deux témoins fiables ou aux aveux du suspect. La première est toutefois peu évidente : par crainte d’être eux-mêmes accusés, les témoins diffuseurs de rumeurs sont souvent réticents à répéter leurs affirmations devant le tribunal. Dans de nombreux cas, les aveux du suspect constituent le seul moyen de prouver sa culpabilité. Pour les obtenir, les juges envoient l’accusé au chevalet. Dès lors, l'interrogatoire sous la torture est la logique étape suivante.
Boudewijn Waelspeck, originaire d'Ypres, est à Gand un bourreau de sorcières notoire. Il gravit les échelons et entre au service du Conseil des Flandres à Gand. Sa renommée est largement répandue : il extorque rapidement des aveux en utilisant d’épouvantables méthodes de torture telles que les poucettes et le collier à pointes. Sa popularité est telle qu’on fait appel à lui aussi ailleurs en Flandre afin de pousser aux aveux des sorcières présumées. Il se fait grassement rémunérer pour ses services et, comme certains juges, il n'est pas à insensible aux pots-de-vin venant des familles des victimes.
Entre 1601 et 1604, au moins dix Gantoises avouent avoir eu des « conversations charnelles » avec le diable. L’une d’elles meurt sous la torture au château des comtes, et huit autres femmes ainsi qu’un homme sont brûlés vifs. Les exécutions ont généralement lieu sur la Place Sainte-Pharaïlde (Sint-Veerleplein), mais parfois aussi au Marché du vendredi (Vrijdagmarkt). La mort par le feu est l’exécution la plus courante en raison de l'effet purificateur supposé du feu.
Cas gantois
Catherine Tancré
En 1603, Catherine est interrogée suite à une plainte de son entourage. Alors qu'elle mendie au Vieux Bourg (Oudburg), un enfant qui passe laisse tomber un morceau de pain. Catherine le ramasse, mais l'enfant refuse de reprendre le pain. Agacée, la vieille femme marmonne : « Que le diable vienne te prendre ». Cette déclaration s'avère fatale car peu de temps après, l'enfant tombe malade. La mendiante gantoise est blâmée et finit sur le bûcher en 1603.
Chrystine Kints (La tour de Gand incendiée)
Le 2 septembre 1602, à dix heures du soir, un orage fait rage et des éclairs éclatent au-dessus de Gand. Près de la flèche de l'église Saint-Jean s’observe un éclair lumineux tel une torche. Après un énorme coup de tonnerre, la tour prend feu. Une rumeur se répand : le diable aurait rassemblé des sorcières et les aurait amenées à Gand. Même les archiducs Albert et Isabelle, séjournant alors à Gand, confirment cette histoire. Les nouvelles sensationnelles faisant état de sorcières pyromanes volantes se répandent rapidement. La rumeur parvient ainsi à Harelbeke, où Chrystine Kints est soupçonnée de sorcellerie. Le 28 janvier 1603, elle est interrogée sous la torture et avoue toutes les accusations, y compris l'incendie criminel de Gand. Le jour de la Pentecôte 1603, Chrystine est brûlée vive à Harelbeke.
Le thème des clochers d’église détruits revient souvent dans les accusations contre les sorcières. Dès 1565, Pieter Bruegel l'Ancien dessine une gravure représentant en arrière-plan un clocher d'église détruit par des dragons et des sorciers. Puis, seize ans avant les événements gantois, l'histoire fait déjà la une des journaux en Allemagne ! En 1586, un pamphlet imprimé à Augsbourg narre l'histoire de « mauvais esprits » détruisant les clochers de l'église de Gand. Un exemple précoce de « fake news » …
Tanneken van Meldere
En mendiant au Vieux Bourg (Oudburg), Tanneken rencontre le diable. Il a l’apparence d’un chien noir et lui ordonne de rendre un enfant malade. Interrogée, Tanneken admet avoir eu quatre fois des « conversations charnelles » avec le diable. Elle décède le 3 juillet 1608 à la prison du château des comtes.
Cornelia Van Beverwyck
En 1598, Cornelia, également connue sous le nom de « Nele aux pieds nus », est reconnue coupable de « communion avec Satan en plein jour à Ekkergem ». Après cet événement, au moins cinq personnes au Muide et au Kalandenberg tombent malade à cause des préparations aux herbes de la vieille femme. Deux d'entre eux ne survivent pas. Le 14 juillet 1598, Cornelia est condamnée pour sorcellerie. Elle est exécutée sur le bûcher. Tous ses biens sont confisqués.
Annekin van Laerne
Annekin est un aveugle qui gagne sa vie comme diseur de bonne aventure. En 1527, il est accusé d'avoir pactisé avec le diable. Il est torturé et finit par avouer. L'homme est libéré, mais n'est pas autorisé à quitter la ville. Il est marqué sur la joue avec un tisonnier chauffé à blanc et doit demander pardon au conseil municipal. Chaque jeudi, il assiste à la messe à l'église Saint-Jean et y allume une bougie.
Mais tout cela ne peut empêcher que sept ans plus tard, Annekin est de nouveau arrêté, rasé et décapité le 29 mai 1534 sur la Veerleplein.
Un endroit approprié pour une plaque commémorative
La plaque commémorative pour les victimes de la chasse aux sorcières est fixée sur un mur près de la Porte Sombre. Ce porche ancien est situé dans le quartier de la « Cour aux princes » (Prinsenhof), où est né l'empereur Charles Quint. Ce bâtiment portait déjà les noms des Gantois décapités ou brûlés vifs à l'époque de l'empereur Charles Quint.
La plaque commémorant les victimes des persécutions pour sorcellerie se trouve quant à elle sur le mur voisin du CAW Flandre-Orientale. Ce centre autonome d’aide sociale générale s’occupe depuis de nombreuses années de l’accueil de sans-abri.
Le CAW Flandre-Orientale fournit aux personnes sans abri ou sans foyer un refuge temporaire. L'accent est mis sur l'autodétermination et le maintien de liens avec la vie en dehors du refuge, grâce à une assistance professionnelle.
Les gens se retrouvent sans abri pour diverses raisons, telles que des problèmes relationnels, des difficultés financières ou la pauvreté générationnelle. La société impose des attentes qui ne sont pas réalisables pour tout le monde. Ceux qui ne répondent pas à ces attentes peuvent perdre pied et subir de graves conséquences.
Les sans-abri sont souvent considérés comme des boucs émissaires. On leur reproche leurs propres problèmes, alors qu'il est de la responsabilité de la société d'assurer le bien-être de chacun. Il nous faut assumer collectivement la responsabilité d’empêcher la création et la marginalisation de boucs émissaires.
Lespakket Heksenstreek
Nu de stad Gent de slachtoffers van heksenwaan eerherstel en erkenning biedt in de vorm van een gedenkplaat hebben we een lespakket ontwikkeld over dit thema in samenwerking met Learning Design Studio Oetang.
We mikken in de eerste plaats op leerlingen uit de 2de graad secundair onderwijs, waar heksenvervolging aan bod komt in de les geschiedenis. Maar we zien het breder en vinden dat dit lespakket ook perfect past binnen andere vakken zoals gedrags- en cultuurwetenschappen, zedenleer, filosofie…